2 min lu
15 Sep
15Sep

D'un pas rapide ce matin, j'essayais de ne pas arriver en retard à mon rendez-vous chez ma dentiste. Je traversais les basses promenades. Dans ma belle ville rémoise, cela représente un parc et un parking en longueur, ombragé par de grands arbres.

Je fus arrêtée par un vieil homme. J'ai l'impression d'être Perceval dans 😃 Kaamelott, il y a toujours des vieux dans mes histoires, parce que cela apporte du mystère.

Il avait une pancarte qu'il essayait d'accrocher à un arbre, avec beaucoup de difficulté.

Premier biais de perception : j'ai crû que c'était un sdf qui tentait d'attirer l'attention. Je ne comprenais pas trop son choix de lieu car peu passant pour mendier.

Deuxième biais de perception : j'arrive à lire la pancarte, il est noté "Je suis vieux, laissez moi vivre encore un peu". J'ai cru que cette personne parlait d'elle-même, que c'était peut-être un cri d'alerte par rapport à la situation sanitaire dans les EHPAD et la COVID19.

Et en fait, non. Il m'expliqua qu'il se battait pour ces arbres majestueux ornant les basses Promenades de Reims. 

"Ils vont être abattus ce jeudi.", il m'annonça la sentence comme s'il parlait de la perte d'amis proches.

Ces arbres vont êtres abattus, car la totalité des basses promenades va être réaménagée. Le projet est assez beau sur le papier, mais ces arbres centenaires le sont encore plus dans la réalité. Je me suis sentie inutile, voire un peu con avec ma marche rapide pour ne pas arriver en retard chez la dentiste, comme si cela avait une quelconque importance. 

Il y a encore des gens qui combattent pour les arbres. 

Un vieux qui défend un vieux.

L'analogie a suspendu le vol du temps. Pour quelques instants. Cet homme qui avec ses mains tremblotantes, avait du mal à accrocher l'affiche. L'arbre refusant le scotch. Quelle ironie comme s'il savait que cela allait être inutile. Cet acte anodin et volontaire m'a un peu émue, et surtout a suscité pas mal d'interrogations.

  • Quelle place laissons-nous à notre passé ? 
  • Pourquoi devons-nous éteindre ou effacer ce qui a été pour faire surgir l'avenir ? 
  • Pourquoi ne pouvons-nous pas composer avec ce passé, que cela soit nos arbres, notre histoire, nos luttes sociales, nos défaites ? 
  • Pourquoi nous faut-il toujours le spectre de la page blanche pour être en paix avec nos fantômes ?

En fait, mon deuxième biais de perception n'était pas si loin de l'esprit de la pancarte. Cela me renvoie à un autre traitement de la vieillesse : le super documentaire que j'ai vu sur Thierry Bedossa et l'association AVA qui aide les vieux animaux.

Quelle place laissons-nous à ce qui n'est plus assez productif, plus assez décoratif, plus assez vaillant, plus assez... pour notre monde qui en a déjà trop...

Pourquoi n'arrivons-nous pas à concevoir de nouveaux espaces verts en composant avec l'existant ; pourquoi n'arrivons-nous à intégrer dans nos espaces de vies, le reste du temps les personnes âgées ; pourquoi euthanasions-nous aussi facilement nos animaux s'ils ne souffrent pas et si des soins de réadaptation sont envisageables ?

Trois manières de considérer la vieillesse et de l'effacer.

Memento Mori, nous sommes en train de cacher nos Memento mori.

Souvenons-bien que nous allons mourir, et avant cela pour ceux qui auront chance et longue vie, mûrir, vieillir, perdre...

Perdre des amis, de la famille, des possibilités, des aptitudes, des capacités physiques, intellectuelles, de la volonté, de la joie, de la grandeur... et la vie.

Peut-être que beaucoup de personnes trouveront l'acte du vieux monsieur ridicule, surtout s'il a débouché sur ce texte, certainement aussi ridicule.

Mais le ridicule ne tue pas. L'inaction, si. Même des arbres.

Memento Mori.

Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.